Google, Amazon, Apple, Facebook ou Microsoft représentent aujourd’hui l’essentiel du quotidien numérique de milliards d’utilisateurs dans le monde. Ils pèsent plus de 4 200 milliards de dollars de capital à eux cinq. Pourtant, les 1,4 milliards de Chinois n’en utilisent presque aucun, et pour cause : la Chine a ses propres Gafam, les BATX. Ils représentent à eux quatre plus de 950 milliards de dollars de capitalisation boursière.
Là où certaines entreprises du numérique ne peuvent pas entrer, d’autres se sont créées pour occuper le vide. Au point que quasiment chaque géant numérique occidental a son équivalent chinois.
BATX ?
- Baidu : le Google chinois. Fondé en 2000 par Robin Li, c’est le quatrième site le plus visité au monde. Il reprend les mêmes fonctionnalités que Google (mails, agenda, plateforme de vidéos) et commence à le concurrencer sur le terrain de l’intelligence artificielle ou la conduite autonome. Sa capitalisation boursière avoisine les 65 milliards de dollars fin 2018, contre quand même 742 milliards pour Google.
- Alibaba : le cousin d’Amazon. Même s’il s’est diversifié, ce géant tire la grande majorité de ses revenus du commerce en ligne. Fondé en 1999 par le désormais célèbre patron Jack Ma, qui a annoncé il y a quelques jours tourner la page d’Alibaba, le groupe est aujourd’hui la plus grosse capitalisation boursière d’Asie avec 440 milliards d’euros à la bourse de New York.
- Tencent : parent de l’application WeChat, dont les multiples fonctionnalités rappellent largement Facebook. Après les déboires de Facebook dans le scandale Cambridge Analyctica, le réseau social se fait talonner par son concurrent chinois. Fin 2018, alors que la capitalisation boursière de Facebook culminait à 404 milliards de dollars, celle de Tencent atteignaient 357 milliards.
- Xiaomi : les smartphones chinois ont la côte. Encore très loin derrière Apple, Xiaomi est quand même en pleine croissance grâce à des smartphones haut de gamme moins chers que le marché.
Baidu, quatrième site le plus visité du monde
Baidu est un moteur de recherche créé en 2000 et qui a longtemps été cantonné au marché chinois. Sa valeur sur les marchés est très loin d’égaler celle d’Alphabet, la maison mère de Google, mais il est quand même le quatrième site le plus visité du monde, et ses techniciens sont à la pointe du progrès en matière d’intelligence artificielle et de voitures autonomes.
Alibaba est le concurrent direct d’Amazon. Et le premier distributeur mondial, devant Walmart. Parmi ses atouts, un système de paiement en ligne à la fiabilité reconnue, Alipay.
Tencent marche sur les plates-bandes de Facebook. Ses spécialités ? Le streaming musical, le paiement mobile, les jeux en réseau et les messageries : son WeChat est la troisième plateforme la plus utilisée au monde, derrière Messenger et WhatsApp.
Xiaomi, enfin, s’est fait une place sur le marché du téléphone mobile avec des produits à bas prix diffusés massivement. Cinquième constructeur mondial en 2017, le groupe ne prétend pas encore rivaliser avec Apple, mais se diversifie dans les objets connectés. On pourrait ajouter à la liste leur compatriote Huawei, troisième vendeur mondial de mobiles.

Les revenus des GAFAM et des BATX.
Aujourd’hui en position de leaders absolus en Chine et sérieux concurrents des GAFAM à l’international, ces entreprises se sont créées entre la fin des années 90 et les années 2000. Selon Nicolas Mazzucchi, chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, ces géants sont nés « dans un contexte économique et politique particulier : la Chine entre dans Internet à la seconde moitié des années 90, et tout le développement de l’Internet chinois jusqu’à aujourd’hui s’est fait de la Chine par rapport à la Chine. »
Spécificités des géants chinois
Plus souples, les géants chinois du web chinois s’adaptent sans rechigner aux marchés locaux, ce qui s’explique aisément. Les BATX se sont développés à l’époque où leurs clients chinois découvraient internet et naviguaient essentiellement au moyen de leurs smartphones. Exactement la configuration de l’Afrique d’aujourd’hui !
Autre spécificité du modèle chinois : si les groupes sont privés, il existe quand même une certaine proximité entre ces derniers et le pouvoir central, à Pékin. Impossible de déconnecter complètement les objectifs de développement des BATX en Afrique des grands projets lancés par le président Xi Jinping, « nouvelles routes de la soie » en tête. Ce gigantesque projet est avant tout constitué de routes, de voies ferrées, de ports et d’autres centrales électriques.
Mais il comporte aussi un volet numérique, moins visible, mais non moins stratégique. Et les entreprises chinoises ne sont pas les dernières à répondre aux appels d’offres qui se multiplient actuellement pour construire des réseaux de fibre optique – Central African Backbone et autres – permettant de connecter tous les pays du continent à l’internet haut débit.
Les Africains peuvent-ils jouer de la rivalité entre Gafam et BATX pour obtenir de meilleures conditions lors des signatures de partenariat ? Ou peuvent-ils au moins s’inspirer de l’exemple chinois pour faire émerger leurs propres géants du numérique ?
Un vide créé par la censure
À l’inverse des GAFAM qui prônent le principe de l’internet libre et la libre circulation des informations, la Chine est entrée dans l’ère du numérique sans jamais renoncer à la censure. Nicolas Mazzucchi explique : « La Chine est entrée dans le cyberespace non pas en le subissant mais à sa propre manière. Quand la Chine pénètre dans le cyberespace, elle le fait à ses conditions politiques et économique, en particulier en terme d’accès à l’information de ses citoyens. »
À l’évidence, les autorités chinoises sont largement plus impliquées dans le développement de ces entreprises qu’aux Etats-Unis par exemple. Pourtant, selon Nicolas Mazzucchi, « c’est toute la difficulté d’aller analyser quel est le rapport public/privé sur les BATX. Ce sont des entreprises privées, créées par des initiatives privées, mais sans qu’ils soit possible d’analyser de manière extrêmement fine la part de l’Etat à l’intérieur. »
Une marge de progression au niveau national
Et la marge de progression existe toujours : le pays compte 802 millions d’internautes sur une population de près d’1,4 milliard de personnes, soit à peine 60% de la population connectée. La Chine est certes la deuxième économie du monde, mais le pays est toujours en développement, en particulier dans certaines régions du centre et de l’ouest. Ainsi, même si les internautes chinois représentent presque un quart des quatre milliards d’internautes dans le monde, la progression n’est pas achevée. Selon Nicolas Mazzucchi, « il y a plusieurs pays : une Chine très connectée, une Chine moyennement connectée et une Chine pas connectée du tout. »
En témoigne la croissance des BATX : en 2018, la croissance du chiffre d’affaires d’Alibaba était par exemple de 56% quand celle d’Amazon était de 31%. La poussée la plus impressionnante est celle de Xiaomi, le fabricant de smartphones, dont le chiffre d’affaires a progressé de 67% en 2018 contre 16% pour Apple. En sachant que le concurrent d’Apple est encore loin des 951 milliards de dollars de capitalisation boursière, avec 54 milliards de dollars fin 2018.
Le temps de la concurrence internationale
Après avoir affirmé leur domination écrasante en Chine, serait-il temps d’aller voir à l’international pour les BATX ? Il semblerait que oui. SPour Nicolas Mazzucchi, « puisque leurs business et leur volume de clientèle sont finalement très comparables aux GAFAM, leur aspiration est d’être directement les concurrents des GAFAM sur pratiquement l’ensemble des segments sur lesquelles ces entreprises sont présentes. »
Cette concurrence fait partie de la guerre commerciale que se livrent Chine et Etats-Unis. En mai dernier, Google annonçait la suspension de ses services à destination de Huawei, le fabricant de smartphones chinois.
S’il s’agit en effet de gagner des utilisateurs hors de Chine, la finalité est ailleurs selon le chercheur : « Aujourd’hui, quand on regarde par exemple les travaux de recherches sur l’intelligence artificielle, on voit qu’une entreprise comme Baidu est toute aussi impliquée que Google. Les deux vont rapidement être en concurrence. » En 2017, le gouvernement chinois annonçait un plan de développement de l’intelligence artificielle : 59 milliards de dollars de budget en 2025. A titre de comparaison, en 2018, les estimations du budget alloué par les Etats-Unis à la recherche sur l’IA ne dépassaient pas les 11 milliards de dollars.
Les GAFAM prennent cette concurrence très au sérieux. À tel point, explique Nicolas Mazzuchi, d’envisager d’aller concurrencer les BATX sur leur propre terre : la Chine. « Certains des GAFAM révisent leur politique industrielle pour avoir la capacité d’aller concurrencer aussi sur le marché chinois. »
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